Politique numérique de l’État : le CNLL dénonce une stratégie d’exclusion des entreprises françaises du logiciel libre

  • 21 juillet 2025
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Paris, le 21 Juillet 2025 – Le Conseil National du Logiciel Libre (CNLL), représentant la filière française du logiciel libre et ses centaines d’entreprises innovantes, alerte les pouvoirs publics sur les dangers liés à l’emploi du concept de « communs numériques » dans les politiques publiques. Cette terminologie cache, sous les apparences de comportements vertueux, la réalité d’exclusions stratégiques dont les éditeurs de logiciels libres font les frais, exclusion qui menace la croissance, l’innovation et la souveraineté numérique de la France et de l’Europe.

Le CNLL appelle l’État à s’en tenir à la définition internationale et inclusive de « biens publics numériques » et à mettre en place une véritable politique industrielle pour renforcer la filière, seul gage d’une souveraineté numérique durable pour la France et l’Europe.

« Biens publics numériques » : une définition internationale pour la croissance et la souveraineté

Pour le CNLL, il est essentiel de s’appuyer sur la définition officielle établie par les Nations Unies. Selon le Secrétaire général de l’ONU, les biens publics numériques sont « les logiciels libres, les données ouvertes, les modèles d’intelligence artificielle à source ouverte, les standards ouverts et les contenus libres qui respectent les lois sur la protection de la vie privée […], ne sont pas source de préjudice » et contribuent aux objectifs de développement durable de l’ONU.

Surtout, cette approche est inclusive. Le rapport de l’ONU souligne que la promotion des biens publics numériques est l’affaire de tous les acteurs : les États, le secteur privé et la société civile.

C’est cette vision que nous défendons : elle reconnaît que la valeur est créée par une multitude d’acteurs – entreprises éditrices, PME innovantes, communautés de développeurs, chercheurs et individus – et soutient le développement d’un écosystème industriel robuste, essentiel pour garantir l’indépendance technologique de la France et de l’Europe.

« Communs numériques » : un prétexte pour faire sans les éditeurs

À l’inverse, la notion de « communs numériques » ajoute des critères flous de « gouvernance communautaire ». En créant cette distinction, l’État contrevient directement à l’article 16 de la loi pour une République numérique, qui encourage l’utilisation des « logiciels libres » sans distinction, et exclut de fait la majorité des logiciels libres portés par les éditeurs français et européens. Cette approche favorise en outre des modèles de « grandes fondations » où la dilution des responsabilités devient un paravent pour une prise de contrôle par de grands acteurs, notamment non-européens, ou pour la défense d’intérêts particuliers, et où les PME européennes sont de facto exclues.

L’État mène donc une politique d’exclusion en marge du cadre légal.

Le logiciel libre ne pousse pas sur les arbres. Depuis plus de dix ans, le CNLL met en garde la DINSIC, la DINUM et les ministres et secrétaires d’État successifs en charge du numérique contre une vision réductrice du logiciel libre qui oppose, à tort, le modèle entrepreneurial au modèle communautaire. La promotion actuelle des « communs numériques » est l’aboutissement de cette vision préjudiciable qui ignore la réalité de notre industrie, et notamment ses modèles d’affaires.

Le métier d’éditeur de logiciel libre consiste précisément à développer un projet Open Source en tant que produit industrialisé, fiable et pérenne. Les éditeurs Open Source apportent notamment la feuille de route, la maintenance sur le long terme, les garanties de sécurité et le support professionnel indispensables aux utilisateurs. Ils financent ces activités critiques par des modèles économiques variés (support professionnel, SaaS, “open core”…) qui assurent leur viabilité et donc celle de leur écosystème.

En niant ce rôle, l’État se méprend sur la nature même du logiciel libre. Sous la bannière des « communs », il ne crée pas d’alternatives souveraines, mais des solutions parcellaires – souvent de simples dérivés (forks) de projets existants – sans la structure, l’offre de service et la vision stratégique nécessaires pour garantir leur évolution et leur pérennité.

Une politique aux conséquences désastreuses

Cette politique, fondée sur une méconnaissance de notre écosystème et qui jette le trouble sur le marché, a des conséquences désastreuses :

  • Affaiblissement de la souveraineté numérique : En fragilisant ses champions nationaux, la France se prive des acteurs industriels capables de garantir son autonomie stratégique.
  • Gaspillage des fonds publics : L’État finance le redéveloppement de logiciels pour lesquels des solutions françaises matures et performantes existent déjà.
  • Frein à la croissance des PME : Les éditeurs français de logiciels libres sont privés de références sur leur marché national, ce qui handicape leur développement et leur capacité à exporter.
  • Ralentissement de la modernisation de l’État : En finançant des projets qui visent à recréer des solutions avec des années de retard sur les produits déjà commercialisés, l’État retarde sa propre transformation numérique.
  • Renforcement paradoxal du verrouillage propriétaire : En affaiblissant l’écosystème commercial du logiciel libre, cette politique renforce à long terme la dépendance envers les solutions des géants non-européens.

Un appel à une politique numérique cohérente et ambitieuse

Le CNLL réaffirme sa position historique : le logiciel libre est un pilier de la compétitivité et de l’indépendance de la France et de l’Europe. Les infrastructures numériques - qui incluent les briques logicielles libres - doivent être soutenues comme des biens publics, en s’appuyant sur tous les acteurs de l’écosystème.

Le CNLL demande donc au Gouvernement de :

  1. Appliquer l’article 16 de la loi pour une République numérique en privilégiant l’acquisition de solutions libres existantes et en cessant de financer par l’argent public le développement de logiciels concurrents à l’offre des éditeurs français. Le CNLL rappelle à cet égard que le terme utilisé dans cet article est bien “logiciel libre”.
  2. Adopter officiellement la terminologie inclusive de « biens publics numériques », telle que définie par les Nations Unies, pour acter une inclusion proactive de l’ensemble des acteurs industriels de la filière du logiciel libre.
  3. Engager un dialogue constructif et régulier avec le CNLL, en tant qu’organe représentatif de la filière, pour bâtir une politique qui soutient réellement les entreprises du secteur et renforce notre souveraineté collective.

Le choix entre « biens publics » et « communs » n’est pas qu’une question sémantique ; il est stratégique. Il conditionne la capacité de la France à bâtir une souveraineté numérique réelle, fondée sur un écosystème industriel fort, des emplois qualifiés et une innovation durable.

Références

À propos du CNLL – Conseil National du Logiciel Libre

Le CNLL est l’organisation représentative de la filière économique du logiciel libre en France. Il fédère plus de 300 entreprises (éditeurs, sociétés de services, agences) et plusieurs associations régionales, qui génèrent des dizaines de milliers d’emplois. Le CNLL œuvre pour la reconnaissance du logiciel libre comme un moteur d’innovation, de croissance économique et de souveraineté numérique, et promeut un environnement éthique, ouvert et collaboratif pour la transformation numérique de la société.