Le CNLL a adressé le 14 novembre 2011, à chacun des partis politiques français un document intitulé « Elections 2012 – vos positions relativement à l'économie du Logiciel Libre ». Les candidats ainsi sollicités étaient : Eva Joly (EELV), François Bayrou (Modem), François Hollande (PS), Nicolas Sarkozy (UMP), Jean-Luc Mélenchon (Le Front de Gauche), Marine Le Pen (Front National). Seuls Nicolas Sarkozy et François Hollande, via leurs équipes de campagne, ont répondu à cette sollicitation. Sur une majorité de sujets, ils semblent avoir compris la teneur du Logiciel Libre et les bénéfices spécifiques qu'il apporte à notre économie. Des différences notables existent toutefois, et il est intéressant de lire dans le détail les précisions apportées par chacun.
En premier lieu, nous remercions chaleureusement les candidats et leurs équipes, qui ont bien voulu répondre à nos questions, formuler et expliquer leurs positions sur les sujets qui nous sont chers. Nous excusons très volontiers les candidats qui n'ont pas pu répondre, ne disposant pas d'équipes suffisantes pour faire face au nombre élevé de sollicitations.Nous sommes dans l'ensemble assez heureux des positions exprimées par les deux principaux candidats à l'élection présidentielle. Sur une majorité de sujets, ils semblent avoir compris la teneur du Logiciel Libre et les bénéfices spécifiques qu'il apporte à notre économie. Des différences notables existent toutefois, et il est intéressant de lire dans le détail les précisions apportées par chacun.
Ainsi, sur la place du Logiciel Libre dans la commande publique, François Hollande et Nicolas Sarkozy sont l'un et l'autre favorables à une politique d'incitation préférentielle en la matière. Selon Nicolas Sarkozy, « 15% du budget informatique des administrations était consacré au Logiciel Libre et ce chiffre est en croissance de 30% par an », et le Logiciel Libre est « un axe stratégique du développement du secteur numérique en France ». François Hollande prévoit pour l'Etat une informatique privilégiant « l’agilité plutôt que la logique des 'grands projets' cloisonnés et coûteux » et souligne que « Les logiciels libres permettent quant à eux davantage de mutualisation et facilitent la mise en concurrence des fournisseurs de prestations externalisées. »
Le soutien aux PME, tous métiers confondus, était l'une des priorités exprimées par le CNLL, dont les entreprises sont majoritairement petite et moyennes. Ainsi qu'on l'avait déjà observé dans la campagne, les PME sont au centre des promesses de pratiquement tous les candidats, qui reconnaissent leur capacité à créer des emplois. C'est donc un sujet qui fait consensus également pour François Hollande et Nicolas Sarkozy. Nicolas Sarkozy fait état des actions menées par son gouvernement, en particulier sur le sujet du Crédit Impôt Recherche (CIR), dont toutes les PMEs innovantes s'accordent à saluer le succès, et du statut de JEI. François Hollande promet quant à lui de « veiller à ce que la commande publique soit bien ouverte aux PME, à travers la mise en place d'un médiateur du marché public. »
Le sujet sur lequel les prises de position des candidats se distinguent fortement est celui des brevets logiciels. François Hollande y est clairement opposé, invoquant un engagement constant, où le combat mené par Michel Rocard au Parlement Européen a fait date. « Nous veillerons à ce que la mise en œuvre du brevet communautaire ne soit pas l'occasion de légitimer les brevets sur les logiciels, les méthodes mathématiques et les méthodes commerciales. » déclare le candidat socialiste. Au contraire, Nicolas Sarkozy se dit favorable aux brevets logiciels. Le commentaire du candidat invoque les bénéfices de la protection de la propriété intellectuelle dans la réussite de grands acteurs du logiciel tels que SAP. Mais, comme nous l'exprimions le mois dernier dans un article intitulé « Brevets logiciels : la grande imposture de la propriété intellectuelle », il est erroné d'associer la brevetabilité du logiciel à la protection de la propriété intellectuelle. Les professionnels de l'informatique s'accordent à penser que les brevets ne doivent pas être transposés au logiciel, que loin d’encourager l’innovation, ils sont facteurs de risque juridique, en particulier pour les PME innovantes, et renforcent la domination d'un petit nombre d'acteurs en position dominante. Sur ce sujet, nous partageons la position exprimée par François Hollande, selon laquelle « les brevets, qui sont légitimes dans le cadre de l’économie matérielle, ne doivent pas être transposés à l’économie immatérielle, en particulier aux algorithmes et aux méthodes d’affaires ».
Les candidats se démarquent également quant à la place du logiciel dans l'éducation. Nicolas Sarkozy est « plutôt favorable à une place plus grande du Logiciel Libre dans l'éducation, mais sans en faire une priorité », et invoque en particulier la maîtrise des dépenses publiques, et la réduction de la fracture numérique. François Hollande, de son côté, en fait une priorité, et n'invoque pas uniquement les économies, mais une aspiration à faire contribuer les étudiants : « L'éducation ne devra donc pas seulement faire des élèves des 'consommateurs' de l'informatique, mais aussi des 'créateurs' qui sauront décoder et surtout « coder » cet univers. » La contribution active et la prise de contrôle sur le logiciel étant l'essence même du Logiciel Libre, nous ne pouvons qu'être sensibles à cette formulation. Nous voulons souligner que le Logiciel Libre est créateur d'emploi en France (1), et qu'il importe aussi que les cursus scolaires français forment des ingénieurs et techniciens maîtrisant les technologies et méthodes de l'open source. Les candidats ne nous ont pas répondu sur cette partie de la question.
Les deux candidats semblent être d'accord également sur la question des standards ouverts. Nous avions pris soin de préciser « standards ouverts, dans la définition de l'EIF 1.0 » (2). Les positions des deux candidats sont positives, mais leurs commentaires un peu trop vagues à notre avis : ils invoquent l'un comme l'autre la nécessité d'interopérabilité, mais la seule interopérabilité, souvent invoquée par les opposants aux standards ouverts comme une alternative également satisfaisante, est selon nous une exigence bien moindre et pour tout dire inacceptable. Nous aurions aimé des réponses plus tranchées sur ce point.
Sur la question de la Neutralité du Net, les deux candidats se disent l'un et l'autre « clairement opposés à la remise en cause de la neutralité du Net », et argumentent leurs positions. Pour Nicolas Sarkozy, « le projet de l'UMP sur ce sujet est d'ailleurs très clair : nous voulons faire de la neutralité du Net un objectif politique pour ce prochain quinquennat. ». La Neutralité du Net au sens strict est une question en partie technique, qui porte des incidences économiques.Mais elle est souvent associée à la question du filtrage et du contrôle des échanges, qui relève de la défense des libertés individuelles. La réponse de François Hollande déborde sur ce sujet connexe : « L’existence de réseaux libres et ouverts, sans filtrage ni bridage, et plus généralement la neutralité du Net sont des principes à protéger afin de garantir la liberté d’expression, la non discrimination et le caractère de bien commun essentiel des infrastructures numériques. »
En matière de Recherche et Développement, enfin, autant Nicolas Sarkozy que François Hollande souhaitent « que le Logiciel Libre bénéficie d'incitations préférentielles dans les dispositifs d'aide à la R&D de l'Etat », ce qui ne peut que nous réjouir. François Hollande souligne que le Logiciel Libre « génère un 'effet de levier' sur l'économie de la connaissance car chaque euro qui est investi se diffuse à l'ensemble de la société ». Nicolas Sarkozy rappelle les projets Libres financés avec l'aide de l'état dans le cadre des pôles de compétitivité, et souligne que le caractère open source fait partie des critères d'évaluation des investissements d'avenir.
Quant aux Fondations Floss, souhaitées par le CNLL, la position des candidats est sympathique mais peu engageante. François Hollande souligne qu'il existe déjà des dispositifs « permettant à des structures reconnues d'intérêt public de bénéficier de statuts avantageux ». C'est vrai, mais nous n'avons pas encore vu de contribution à un logiciel open source porté par une entité reconnue d'utilité publique, bénéficier des avantages associés. C'est donc, pour nous, un combat qui reste à mener.
En conclusion, nous sommes heureux de constater que les candidats et leurs états-majors ont compris, dans l'ensemble, les spécificités du Logiciel Libre, et ses bénéfices pour l'éducation, l'innovation, la création d'emplois et la compétitivité.
Nous regrettons la position de l'UMP en faveur des brevets logiciels, et voulons croire qu'elle résulte d'une mauvaise compréhension de la démarche de création du logiciel. C'est un sujet auquel les acteurs du développement logiciel, bien au delà du seul Logiciel Libre, sont particulièrement attachés, car ils mesurent parfaitement à quel point il est impossible de créer des programmes en traversant le champ de mines de dizaines de milliers de brevets, déposés par une poignée d'acteurs dominants, voire par des patent trolls (3). Des brevets irrecevables, souvent ineptes, mais néanmoins extrêmement coûteux à désamorcer.
Nous invitons tous les citoyens sensibles aux questions évoquées ici à prendre connaissance des positions détaillées par les candidats, et nous espérons ainsi avoir contribué utilement à l'éclairage de cette campagne.
Patrice Bertrand, Président du CNLL
Retrouvez l'intégralité des prises de position des candidats en cliquant ici >>
(1) Voir sur ce sujet, l'étude PLOSS / CNLL / GTLL : http://www.cnll.fr/news/le-secteur-du-logiciel-libre-en-france-createur-demplois-numeriques-enquete-ploss-2011-2013
(2) European Interoperability Framework. L'EIF 1.0 date de 2004, et porte une définition claire et exigeante de ce que doit vérifier un standard pour être dit « ouvert ». Depuis, quelques grands acteurs du logiciel essayent de faire adopter par Bruxelles une définition bien plus vague des standards ouverts.
(3) Les pattent trolls sont des sociétés sans activité réelle, dont la seule raison d'être est de rançonner les entreprises du logiciel, principalement les petites et moyennes, en invoquant un portefeuille de brevets qu'elles ont acquis à cette fin.