Une consultation était ouverte jusqu'au 15 mai sur le RGI, le Référentiel Général d'Interopérabilité.
Le CNLL a participé à cette consultation. Ce qui suit constitue l'essentiel de sa réponse.
Le CNLL est l'association représentative de la filière du logiciel libre en France. Il est constitué de 13 clusters régionaux qui regroupent, tous ensemble, environ 400 "pure players" du logiciel libre (sociétés de service et éditeurs de logiciels), principalement des PME.
La question de l'interopérabilité est une des priorités des professionnels du logiciel libre. Un RGI qui promeut des standards réellement ouverts - pour nous le test est "peut-on les implémenter sans obstacle artificiels sous forme de logiciel libre ?" - est pour nous le gage d'un "terrain de jeu" qui ne favorise pas les intérêts des acteurs - en général américains - en position dominante, pour les administrations la garantie d'une plus grande liberté de choix de leurs fournisseurs, et pour les usagers la possibilité de faire appel aux services en ligne de l'administration avec les matériels et logiciel de leur choix.
Nous avons écrit il y a 2 ans 1/2 un livre blanc, "10 propositions sur le logiciel libre et les standards ouverts", que nous avons transmis aux ministres responsables à l'époque de ces sujets, notamment à Mme Fleur Pellerin.
Vous trouverez ci-dessous les deux propositions, la proposition 1 et la proposition 5, qui relèvent de l'axe 1 et de l'axe 2, qui présentent notre position sur les standards ouverts, et qui constituent à ce titre notre principal commentaire de principe sur le RGI.
Les politiques d’achats publics sont pour l’État à la fois un moyen de s’assurer que l’argent public est utilisé de manière cohérente et rationnelle, et un outil de mise en œuvre d’une politique industrielle. En appliquant les propositions suivantes, l’État pourra à la fois s’assurer d’une utilisation optimale de ses ressources, éviter de s’engager sur des technologies qui le garderaient prisonnier de ses fournisseurs, et soutenir le secteur de l’industrie informatique française le plus dynamique à ce jour.
Il s’agit de traduire dans la Loi, de manière claire, les recommandations plus ou moins contraignantes qui existent à divers niveaux (ex: European Interoperability Framework v. 1), et les principes énoncés par François Hollande en avril 2012 :
"Pour conserver son autonomie technique, la sphère publique ne saurait être prisonnière des formats propriétaires imposés par ses prestataires. Les standards ouverts doivent être systématiques dans le cadre de la commande publique et des données publiques. Tout fournisseur de solution informatique souhaitant soumissionner à une commande publique devra fournir les informations nécessaires à l'interopérabilité de la solution informatique qu'il propose."
On pourra par exemple reprendre le langage de la proposition de loi 2437 des députés Le Déaut, Paul et Cohen:
"Lors des échanges de données informatisés, les services de l'Etat, les collectivités locales et établissements publics ont obligation de recourir à des standards de communication ouverts, constitués de règles et procédés d'échange publics de l'information numérique."
Il convient bien sûr de poser une définition claire de la notion de standard ouvert (cf. proposition 5, infra).
Afin de mettre en oeuvre cette mesure, la Direction Interministérielle des Systèmes d’Information et de Communication de l’Etat créée en 2011 pourra voir sa mission explicitement élargie selon les termes de la proposition Le Déaut / Paul / Cohen :
"Elle réalise l'inventaire par secteurs d'activité des standards ouverts et des logiciels disponibles. En fonction de cet inventaire, elle soutient le développement de standards ouverts et de logiciels publiés avec leur code source et favorise leur utilisation dans le domaine public afin de pallier les carences du marché. Elle favorise l'interopérabilité avec les systèmes d'information des autres pays membres de l'Union européenne et participe aux travaux de coopération internationale dans le domaine des technologies de l'information et de la communication."
Le logiciel libre s’est développé depuis plus de vingt ans dans un cadre juridique qui a permis à ses acteurs de faire naître des technologies et des produits rivalisant avec ceux des acteurs établis du marché. Depuis plus de dix ans, cependant, les acteurs en position dominante, qui voient leurs rentes menacées par la montée en force du logiciel libre, ont entrepris d’influencer en leur faveur l’évolution des cadres juridiques, réglementaires et de normalisation, au niveau national comme international, et tentent de neutraliser les recommandations défavorables à leurs intérêts. Un autre type d’acteur s’est développé ces dernières années aux Etats-Unis, les patent trolls, des entités sans activité économique réelle qui utilisent le brevet logiciel pour soutirer aux véritables innovateurs les fruits de leurs réussite selon des pratiques quasi-mafieuses. Ils constituent une menace grandissante pour les éditeurs de logiciel libres, y compris français.
Nous sommes attachés à la définition des standards ouverts telle qu’elle a été donnée par l’IDABC en 2004 :
"(1) Le standard est adopté et sera maintenu par une organisation a but non lucratif, et son développement futur se fera sur la base d’une gouvernance ouverte, accueillant toutes les parties intéressées (décisions par consensus ou à la majorité, etc).
(2) Le standard a été publié et le document de spécification du standard est disponible, soit gratuitement, soit pour un coût modique. Il doit être permis de le reproduire, le distribuer et l’utiliser gratuitement ou pour un montant modeste."
(3) La propriété intellectuelle - i.e. les possibles brevets - portant sur le standard (ou des parties du standard) sont rendus disponibles de manière irrévocable et sans redevance.
(4) Il n’y a aucune limitation dans la réutilisation du standard."
Cette définition est notamment compatible avec celle donnée en France par la LCEN en 2004 :
“On entend par standard ouvert tout protocole de communication, d'interconnexion ou d'échange et tout format de données interopérable et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restriction d'accès ni de mise en œuvre.”
Cette définition, et des définitions similaires appliquées dans d’autres région du monde, a été attaquée par les éditeurs de solutions propriétaires avec pour but de la rendre la moins contraignante possible. La principale attaque à consisté à remplacer, dans le point (3), le principe du “royalty free” par un principe “RAND” ou “FRAND” (“fair, reasonably and nondiscriminatory”), incompatible avec le logiciel libre.
Nous pensons qu’un standard imposant le règlement d’une redevance, à quelque acteur que ce soit (industriel, consortium...), que celle-ci soit “RAND” ou “FRAND”, n’est pas un standard ouvert et ne peut pas être qualifié comme tel, car cela constitue (au sens de la LCEN) une “restriction de mise en oeuvre”.
Nous demandons donc que le principe du “royalty free”, soit clairement affirmé à chaque fois qu’il est question de standard ouvert dans un texte réglementaire en France, et que l’Etat use de son influence auprès des organisations internationale pour que ce principe soit réaffirmé chaque fois que nécessaire."