Le Logiciel Libre doit être plus présent dans l'éducation

  • 25 novembre 2010

Tribune parue dans LeMonde.fr, signée Jean-Pierre Archambault et Patrice Bertrand.

Au fil des ans, les logiciels libres sont devenus une composante majeure de l'informatique moderne. Les plus grands sites du Web sont construits sur un socle de logiciels libres et il en ira de même des plateformes de Cloud computing. Nous soutenons que le logiciel libre doit être plus présent dans l'éducation, à trois égards.

Pédagogie

Comme outil pédagogique d'une part, outil de travail d'autre part, tant des enseignants, des élèves et des étudiants que des administratifs, et enfin comme objet d'étude dans le cadre d'une discipline informatique à part entière car se situant au cœur de l'informatique moderne.

Le libre a fait sa place dans le système éducatif français, d'une manière significative mais il reste à faire. Dès 1998, un accord-cadre signé par le ministère de l'éducation nationale et l'Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (AFUL), régulièrement reconduit depuis lors, soulignait l'intérêt des logiciels libres pour les établissements d'enseignement, solutions de qualité, dans une perspective d'économies mais aussi de pluralisme technologique.

Le logiciel libre repose sur la vision humaniste d'un patrimoine logiciel partagé, géré en tant que bien commun, semblable au patrimoine de connaissance. Ainsi, le libre est en adéquation parfaite avec les missions du système éducatif et la culture enseignante d'accès et d'appropriation par tous de la connaissance.

Économies

En cette période de réductions budgétaires, l'éducation nationale trouvera des économies importantes en déployant de manière systématique des logiciels libres, et en suscitant leur développement. Les logiciels libres ne sont pas toujours gratuits, leur développement doit bien sûr être financé, mais ils peuvent être déployés sans limitation. A l'échelle des enseignements scolaires et universitaires, les gains possibles sont considérables.

Par ailleurs, la filière économique du logiciel libre connaît une croissance rapide, et ses acteurs font l'objet d'un recrutement actif, avec d'importantes perspectives de créations d'emplois. Pour y répondre, les programmes d'enseignement doivent être mieux ciblés, en intégrant les langages informatiques mais aussi les méthodes et outils propres au logiciel libre, depuis la conception jusqu'aux tests.

Rappelons que c'est une large part de l'informatique moderne qui repose sur ces technologies, de sorte qu'il n'est pas concevable de préparer un jeune diplômé aux technologies de l'information et de la communication sans accorder une large part au logiciel libre.

Concernant l'enseignement de l'informatique au niveau du supérieur, l'accès au code source de programmes qui sont parmi les plus utilisés dans le monde, les plus avancés technologiquement et qualitativement, permet de mettre les étudiants directement au contact de l'informatique de pointe. Il faut également enseigner le libre en tant que composante importante de la science informatique, notamment les concepts qu'il élabore pour faire coopérer des centaines de programmeurs sur des logiciels de plusieurs millions de lignes de code.

Pluralité et diversité

Un enseignement de spécialité optionnel "informatique et sciences du numériques" a été créé en terminale S. Il entrera en vigueur à la rentrée 2012. A la fois composante de l'informatique et outil de réflexion pour penser les problématiques générales de l'immatériel et de la connaissance, le libre y aura naturellement sa place, contribuant à la pluralité technologique et à la diversité scientifique inhérentes à l'acte pédagogique.

Il s'agira d'enseigner les concepts de la science et de la technique informatiques. Dans un monde où les outils sont en évolution permanente et rapide, il est bien plus pertinent d'enseigner les principes fondamentaux d'un traitement de texte, d'un tableur et d'un système de gestion de base de données (SGBD), qui pourront être illustrés par quelques produits libres. Et non pas le mode d'emploi d'un produit particulier qui, quand bien même sa part de marché serait immense, n'aura qu'une durée de validité de quelques années.

En tant que citoyens, en tant que professionnels, et en tant que parents, nous ne concevons pas que l'enseignement puisse privilégier l'utilisation de produits propriétaires quand cela signifie des situations de quasi monopole. Les habitudes prises par les jeunes dans le cadre de leurs études sont propagées ensuite dans le monde professionnel, où ces jeunes diplômés réclament les outils qu'ils ont connus à l'école. Les éditeurs de logiciel le savent bien et déploient d'intenses efforts de lobbying, assortis de réductions commerciales massives. Ils y voient évidemment une forme d'investissement qui sera rapidement rentabilisé par la préservation du monopole. Nous disons que le monde de l'enseignement ne peut pas se prêter à ce jeu.

En définitive, la ligne de conduite à tenir est simple : pluralité des environnements et des outils et formation aux concepts qui sous-tendent les réalisations informatiques. C'est ainsi que l'on favorise le développement d'une industrie informatique régulée et ouverte, que l'on forme les personnels qualifiés dont elle a besoin et que l'on donne à l'"honnête homme" la culture scientifique et technique correspondant à la société du XXIe siècle.