Des fuites publiées par le site PCInpact ont révélé une version finale du Cadre Européen d’Interopérabilité en version 2, qui fait apparaître un abandon total des standards ouverts.
Le CNLL, qui représente déjà plus de 200 entreprises françaises du Logiciel Libre, dénonce vivement ce revirement de la Commission, qui ne servira ni les entreprises, ni les citoyens, ni les administrations publiques, et qui témoigne de la perméabilité grandissante des institutions européennes aux lobbies.
Pour mesurer à quel point la Commission Européenne a opéré un virage à 180 degrés, abandonnant les standards ouverts comme gage d’interopérabilité, il convient de revenir à la version précédente du Cadre d’Interopérabilité, de 2004, dont l’objectif est de définir les directives et recommandations permettant aux systèmes d’information publics des états membres d’être interconnectés et d’interopérer afin d’offrir des services unifiés et efficaces, au public comme aux entreprises. Le Cadre Européen d’Interopérabilité (« European Interoperability Framework »), dont les retombées dépassent le seul périmètre du e-gouvernement, est élaboré par l’IDABC, un programme de la Commission Européenne, qui vise à promouvoir et développer l’e-administration tant dans les états membres que à l’échelon européen.
Dans sa version 1.0, le document posait explicitement comme exigence à l’interopérabilité « d’être basé sur des standards ouverts et d’encourager l’utilisation de logiciel open source ».
Ainsi, la recommandation numéro 2 du document énonçait les principes généraux à considérer pour tout service de e-Gouvernement européen. Ces principes sont les suivants: « l’accessibilité, le multilinguisme, la sécurité, la vie privée, la subsidiarité, l’usage de standards ouverts, l’évaluation des bénéfices du logiciel open source, l’usage de solutions multilatérales. »
Sur les logiciels libres, il s´agissait d´une position mesurée : il n’était pas dit qu’il fallait préférer des logiciels open source, seulement qu’il fallait toujours en mesurer les bénéfices.
Sur le sujet des standards ouverts, le document de 2004 veillait à ce que les mots aient un sens précis, en posant les conditions minimales que doit respecter une spécification pour pouvoir être considérée comme un standard. Parmi ces conditions, la première est « d’être adopté et maintenu par une organisation à but non lucratif », avec une gouvernance ouverte à toutes les parties concernées. Cette première exigence élimine très clairement toute forme de standard de fait en tant que standard ouvert. Les deux autres exigences sont d’une part la mise à disposition libre et gratuite de la spécification, et d’autre part l’abandon des brevets s’il y en avait.
Ayant défini avec rigueur les standards ouverts, le document soulignait que le logiciel open source y contribue de manière essentielle. Le paragraphe entier mérite d’être traduit:
« Le logiciel Open Source s’appuie généralement sur des standards ouverts, et aide à définir les standards ouverts et leur spécification disponible publiquement. Les logiciels Open Source sont, par nature, des spécifications disponibles publiquement et la disponibilité de leur code source favorise un débat ouvert et démocratique autour des spécifications, ce qui les rend à la fois plus robustes et plus interopérables. En cela, le logiciel Open Source correspond aux objectifs de ce cadre et doit être évalué, et considéré favorablement à côté des alternatives propriétaires. »
C’est un plaidoyer éclairé que le CNLL applaudirait des deux mains ! Malheureusement, il date de 2004, et depuis, la Commission Européenne s’est désavouée elle-même.
Dans la future version 2.0 du document, la définition stricte et précise d’un standard ouvert a disparu. Elle est remplacée par une vague notion de « spécifications ouvertes ». En fait, les mots mêmes de « standard ouvert » n’apparaissent plus dans la version 2010 du document, tandis que même le mot « standard » n’apparaît que marginalement.
Le nouveau concept, qui est au contraire omniprésent, est celui d’ouverture tout court (« openness »), dont le document donne une définition incroyablement vague, invoquant un « continuum de degrés d’ouverture ». Dans ce continuum, il n’est pas même dit qu’il convient de se placer du côté d’une plus grande ouverture. Non, le cadre d’interopérabilité de la Commission affirme seulement que « les administrations publiques européennes doivent décider où elles souhaitent se positionner (…) en fonction de leurs priorités, de leur patrimoine, de leur budget et d’autres facteurs. » Ainsi, l’ouverture, même diluée au maximum, n’est plus même un objectif de l’interopérabilité pour la Commission Européenne, qui affirme au contraire que « l’interopérabilité peut être obtenue sans ouverture ». Après avoir évacué la notion même de standard ouvert, le document finit même par éliminer ces « spécifications ouvertes » qu’il a présentées en substitution, pour affirmer que « toutefois, les administrations publiques peuvent choisir d’utiliser des spécifications moins ouvertes… ». Même diluée, la recommandation était encore trop gênante pour certains.
En clair, la version 2010 des recommandations européennes affirme que l’interopérabilité n’a pas besoin de standards ouverts, ni même de standards tout court, et finalement pas non plus de spécifications ouvertes, ni même de la moindre ouverture.
Les entreprises françaises membres du CNLL sont choquées de ce revirement de la Commission, et de l’abandon de toute référence aux standards ouverts, et veulent attirer l’attention des pouvoirs publics français mais également des citoyens, sur les conséquences de ces orientations nouvelles, qui vont à contre courant de l’interopérabilité et sont nuisibles pour la compétitivité de l’économie européenne.
Le CNLL demande donc que soient réintroduites selon des définitions précises et solides, les notions d’interopérabilité et de standard ouvert, ainsi que les recommandations initialement présentes, et de de favoriser les choix de technologies et solutions interopérables par les administrations européennes.
Enfin, ce demi-tour soudain de la Commission résultant manifestement d’une action efficace et puissante de lobbying exercée sur les instances européennes, le CNLL demande à la Commission Européenne de mettre en place une gouvernance ouverte au sein de ses instances, et une transparence qui a manqué gravement dans l’élaboration de documents de cette importance.
Seules ces mesures pourront donner confiance aux citoyens des États membres.
L'article de PC Inpact: http://www.pcinpact.com/actu/news/56922-agenda-numerique-europeen-open-standard.htm
La définition de l´interopérabilité: http://definition-interoperabilite.info/
Le Conseil National du Logiciel Libre est l´instance représentative, au niveau national, des associations et groupements d´entreprises du logiciel libre en France.
Le CNLL représente 10 associations et groupements d'entreprises, et par leur intermédiaire plus de 200 entreprises françaises spécialisées ou avec une activité significative dans le logiciel libre.
Le CNLL a pour principale mission de représenter l´écosystème du logiciel libre auprès des pouvoirs publics et des organisations nationales et internationales existantes.