Digital Europe : la Commission européenne doit mettre l'accent sur le logiciel libre

  • 17 septembre 2024
European Commission

Le programme Digital Europe vise à accélérer l'adoption des technologies numériques au sein des entreprises, du public et des administrations publiques en Europe. Lancé pour la période 2021-2027 et doté d'un budget total de 7.9 milliards d'euros, il se concentre sur des domaines stratégiques tels que l'intelligence artificielle (IA), le calcul haute performance (HPC), la cybersécurité et le développement des compétences numériques.

Quatre ans après le début de sa mise en œuvre, une évaluation intermédiaire est en cours pour examiner si ce programme de financement de l'UE atteint les résultats escomptés.

Le CNLL a répondu à la demande de la Commission. Nous recopions notre réponse ci-dessous.


Le CNLL, Conseil National du Logiciel Libre, reconnaît le potentiel du Programme Digital Europe (2021-2027) pour favoriser la transformation numérique de l'Europe, grâce à des investissements dans le calcul haute performance (HPC), l'intelligence artificielle (IA), la cybersécurité et les compétences numériques. Cependant, les logiciels libres (OSS) n'ont pas été suffisamment mis en avant, malgré leur rôle essentiel dans le renforcement de la souveraineté numérique, de l'innovation et de la croissance économique.

Les logiciels libres sont une clé pour réduire la dépendance de l'Europe vis-à-vis des technologies non-européennes, car ils évitent le verrouillage propriétaire et garantissent la transparence, la sécurité et le contrôle des infrastructures logicielles. Les logiciels libres sont un moteur avéré d'innovation à coût maîtrisé, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME), qui peuvent utiliser des composants et des solutions open source pour réduire les coûts de développement et accélérer leur croissance. Les modèles open source permettent une revue par les pairs, renforçant la sécurité et la résilience, des caractéristiques qui rendent les logiciels libres vitaux pour des secteurs comme l'IA, la cybersécurité et le HPC, où l'Europe cherche à maintenir sa souveraineté technologique.

Cependant, l'écosystème et en particulier la filière professionnelle open source européens n'ont pas encore bénéficié de manière significative de ce programme, en raison de plusieurs facteurs tels que l'absence de priorisation des projets open source, le manque de mécanismes de financement ciblés et de communication, ainsi que la dépendance persistante de nombreux secteurs vis-à-vis des solutions logicielles propriétaires et/ou des solutions cloud non-européennes. Ce décalage empêche les logiciels libres de réaliser tout leur potentiel pour contribuer aux objectifs du programme.

De plus, les logiciels libres jouent un rôle essentiel dans le développement des compétences numériques. Les projets open source encouragent la collaboration transfrontalière et le partage des connaissances, permettant aux développeurs et professionnels de l'informatique européens d'acquérir des compétences dans des domaines très demandés comme l'IA et la cybersécurité. Un soutien accru aux logiciels libres renforcerait les compétences la main-d'œuvre européenne, la rendant plus compétitive à l'échelle mondiale.

Dans les domaines de l'IA et du HPC, les logiciels libres sont au coeur de l'innovation. Intégrer les logiciels libres dans ces secteurs accélérerait davantage le progrès technologique, permettant à l'Europe de rester à l'avant-garde des applications scientifiques et industrielles.

Les logiciels libres offrent également aux administrations publiques des économies de coûts, de la flexibilité et un contrôle accru sur les données sensibles. En promouvant l'adoption des OSS, les institutions publiques européennes peuvent renforcer leur souveraineté en matière de données et éviter de dépendre de fournisseurs non-européens.

Le CNLL recommande que le Programme Digital Europe alloue des ressources dédiées au développement et à la promotion des projets open source, en fournissant des subventions ciblées et un soutien aux PME de la filière. De plus, l'intégration des méthodes open source dans les initiatives du programme sur les compétences numériques renforcerait le vivier de talents en Europe. Un cadre de marchés publics priorisant les standards ouverts et les logiciels libres pour les institutions publiques garantirait par ailleurs la durabilité à long terme et la souveraineté des données et des technologies.

Pour atteindre pleinement les objectifs de souveraineté numérique et de croissance économique, Digital Europe doit accorder la priorité aux logiciels libres, essentiels pour garantir l'autonomie, la transparence et la résilience de l'Europe dans l'économie numérique mondiale.


Mémo - Renforcer l'accent sur les logiciels libres dans le programme Digital Europe

À l’attention de : Commission européenne, Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies
De la part de : CNLL (Conseil National du Logiciel Libre - https://cnll.fr/)
Objet : Renforcement des logiciels libres dans le cadre du programme Digital Europe pour promouvoir la souveraineté numérique et la croissance économique
Date : 16 septembre 2024

Introduction

En tant que représentants des entreprises de la filière open source en France, le CNLL reconnaît l’importance du Programme Digital Europe (2021-2027) et de ses objectifs stratégiques. Le programme met l’accent sur le calcul haute performance (HPC), l’intelligence artificielle (IA), la cybersécurité, les compétences numériques et la transformation des services publics, ce qui est essentiel pour l’avenir numérique de l’Europe. Toutefois, les logiciels libres n’ont pas été explicitement mis en avant, malgré leur rôle crucial dans l’assurance de la souveraineté numérique, de l’innovation et de la croissance économique.

De plus, l’écosystème open source et la filière du logiciel libre en Europe n’ont pas bénéficié à ce stade de manière significative de ce programme, en raison de divers facteurs tels que l’insuffisance de la priorisation des projets open source dans le programme, le manque de mécanismes de financement ciblés et de communication, et la dépendance persistante de nombreux secteurs aux solutions logicielles propriétaires et/ou aux solutions cloud non européennes. Ces lacunes empêchent les logiciels libres de contribuer pleinement aux objectifs du programme.

Dans ce mémo, nous expliquons comment le programme Digital Europe doit accorder une attention plus importante aux logiciels libres, tant comme moyen de réaliser les objectifs du programme que comme levier d'opportunités économiques et de souveraineté technologique au sein de l'UE.

1. Les logiciels libres comme pilier de la souveraineté numérique

Le programme Digital Europe identifie la souveraineté numérique comme une priorité, en cherchant à réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis des technologies et services non européens. Les logiciels libres sont particulièrement bien placés pour jouer un rôle central dans cet effort, grâce à leur transparence, leur indépendance des fournisseurs propriétaires et leur capacité à être développés et possédés de manière collaborative par la communauté mondiale.

  • Indépendance vis-à-vis des fournisseurs et contrôle : Les logiciels propriétaires lient souvent les institutions et les industries à des fournisseurs non européens, ce qui peut être risqué pour l’autonomie stratégique de l’Europe. Les logiciels libres offrent une alternative claire en permettant aux entreprises, gouvernements et institutions publiques de conserver un contrôle total sur leurs infrastructures technologiques. Cela augmente l’interopérabilité, l’auditabilité et la sécurité, tout en réduisant la dépendance à long terme vis-à-vis d'acteurs externes.
  • Transparence et sécurité : Les modèles de développement open source, basés sur des bases de code transparentes, réduisent les risques de sécurité en permettant la relecture et la validation par les pairs. Cet aspect est encore plus critique dans des secteurs comme la cybersécurité, où la capacité à inspecter pleinement le code, à détecter les vulnérabilités et à corriger rapidement les systèmes est essentielle pour assurer la résilience des infrastructures numériques à travers l’Europe.

Recommandation : Le programme Digital Europe doit allouer un budget dédié au développement et à la promotion de projets open source européens, en se concentrant sur les infrastructures et les logiciels critiques pour des secteurs tels que l'IA, la cybersécurité, le cloud et le HPC. Cela garantirait que l’Europe maintienne un contrôle souverain sur les technologies qui alimentent son économie numérique.

2. Soutenir l’écosystème économique du logiciel libre

La Commission européenne a depuis longtemps reconnu le potentiel économique des logiciels libres. Des études ont montré que les logiciels libres contribuent à hauteur de plusieurs milliards d’euros à l’économie européenne, en stimulant l’innovation et en créant des emplois. Cependant, l’écosystème économique autour des logiciels libres — composé de PME, de startups et d’entreprises fournissant des solutions open source — nécessite un soutien plus ciblé pour prospérer dans le cadre du programme Digital Europe.

  • Effet multiplicateur économique : La filière des logiciels libres a prouvé sa capacité à favoriser une innovation rentable, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME). Les logiciels libres permettent aux PME de s’appuyer sur des technologies existantes, réduisant ainsi les coûts de développement tout en encourageant l’expérimentation rapide et l’évolution des solutions.
  • Renforcement des compétences numériques et de l’emploi : Le modèle de développement open source est basé sur la communauté et favorise souvent la collaboration transfrontalière, le partage de compétences et l’échange de connaissances. Il offre des opportunités aux développeurs, chercheurs et professionnels européens de contribuer à des projets mondiaux, tout en développant des compétences numériques hautement spécialisées. En promouvant les initiatives open source, l’UE peut renforcer son vivier de talents technologiques, garantissant que sa main-d’œuvre reste compétitive dans des domaines très demandés comme l’IA et la cybersécurité.

Recommandation : Le programme Digital Europe doit encourager activement le développement de modèles économiques open source en fournissant des subventions spécifiques, du mentorat et des opportunités d'incubation pour les startups et PME dans l’écosystème open source. Un accent mis sur le développement des capacités et des compétences en matière de méthodes open source devrait être intégré aux initiatives du programme en matière de compétences numériques.

3. Accélérer l’innovation dans l’IA et le HPC grâce aux logiciels libres

Le programme Digital Europe priorise le développement de l’intelligence artificielle et des infrastructures de calcul haute performance, mais il risque de ne pas atteindre pleinement ses objectifs si les logiciels libres ne sont pas intégrés comme fondement de ces technologies.

  • IA et logiciels libres : De nombreux cadres d'IA parmi les plus avancés au monde — tels que scikit-learn, PyTorch et d’autres — sont des logiciels libres. Ces outils ont permis des avancées rapides dans le domaine de l’IA en favorisant la collaboration entre les institutions académiques, les entreprises et les développeurs individuels. L’Europe doit s’assurer qu’elle contribue à ces cadres ouverts et en tire profit, car ils sont essentiels pour construire des systèmes d’IA transparents et dignes de confiance.
  • HPC open source : Le développement des systèmes HPC bénéficie également des logiciels libres, notamment en termes de recherche collaborative et d’accessibilité. Les technologies open source dans le domaine du HPC peuvent garantir que l’Europe reste à la pointe de la recherche, de l’innovation et des applications industrielles.

Recommandation : Le programme Digital Europe doit encourager l’adoption et le développement de plateformes open source pour l’IA et le HPC. Il doit investir dans la création d’écosystèmes européens d’IA et de HPC qui soient ouverts et accessibles, permettant aux chercheurs et développeurs de toute l’Europe de collaborer et de s’appuyer sur des infrastructures technologiques partagées.

4. Numérisation du secteur public et logiciels libres

La volonté de l’UE de promouvoir la transformation numérique des services publics peut grandement bénéficier des logiciels libres. Les standards ouverts et les outils open source garantissent que les services numériques sont interopérables, évolutifs et libérés des contraintes propriétaires qui pourraient sinon limiter leur durabilité et leur efficacité à long terme.

  • Efficacité économique et flexibilité : De nombreuses administrations publiques européennes ont déjà bénéficié de l’utilisation de solutions open source pour la gouvernance électronique, la santé et l’éducation. Ces solutions offrent des économies de coûts à long terme et garantissent la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux nouvelles exigences technologiques ou réglementaires.
  • Souveraineté des données : Les organisations du secteur public qui dépendent de logiciels propriétaires risquent de voir leurs données sensibles gérées par des fournisseurs non européens. Les alternatives open source offrent une voie vers la souveraineté des données, en garantissant que les outils de gestion des données critiques sont développés et hébergés au sein des frontières européennes.

Recommandation : Nous recommandons la création d’une initiative dédiée aux logiciels libres pour la transformation numérique du secteur public, afin d’encourager les administrations publiques de toute l’UE à adopter et développer des solutions open source. Cela pourrait inclure la mise en place d’un cadre de marchés publics priorisant les standards ouverts et les logiciels libres pour les institutions publiques.

Conclusion

Le programme Digital Europe offre une opportunité unique de remodeler le paysage numérique de l’Europe. Toutefois, pour réaliser pleinement sa vision de souveraineté numérique et d’innovation, le programme doit prendre une position plus forte en faveur des logiciels libres. Ces derniers ne sont pas seulement une alternative économique aux solutions propriétaires ; ils sont un atout stratégique qui s’aligne avec les objectifs plus larges de l’Europe en matière d’autonomie, de transparence et de résilience économique.

Le CNLL exhorte la Commission européenne à réviser le programme Digital Europe pour intégrer les logiciels libres dans tous ses piliers, garantissant ainsi que l’Europe reste compétitive, souveraine et innovante dans une économie numérique en rapide évolution.

Signé,
Pour le CNLL (Conseil National du Logiciel Libre)
Stefane Fermigier
Co-Président